Une appréciation de plus en plus subjective des frais professionnels par le fisc

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Dans de plus en plus de redressements opérés par l’Administration, on assiste aujourd’hui à des contrôles d’opportunité des dépenses faites par un contribuable ou une société. Le contrôleur fiscal livre trop souvent son appréciation personnelle au lieu de se référer au texte de loi et aux principes généraux du droit fiscal.

Si l’Administration peut indéniablement apprécier la finalité professionnelle de la dépense, elle ne peut en revanche apprécier l’opportunité ou l’utilité des dépenses qu’il a plu au contribuable d’effectuer. Ce principe est inscrit clairement dans le commentaire du Code des impôts sur les revenus (Com.I.R., n° 49/15). Il découle de ce principe qu’il n’appartient pas à l’Administration d’imposer à un contribuable l’organisation de son travail.

À propos de la déduction rejetée de frais de bureau à domicile par exemple, la cour d’appel d’Anvers rappelle qu’« il n’appartient pas à l’Administration d’imposer au contribuable l’organisation de son travail. L’Administration ne peut ainsi s’opposer à la déduction par un salarié, au titre de frais professionnels, des frais relatifs à l’utilisation d’une partie de son habitation à usage de bureau, aux motifs que le contribuable disposait de locaux professionnels mis à sa disposition par son employeur, même en dehors des heures normales de prestations, et que s’il travaillait à domicile, c’était pour des raisons de convenance personnelle » (Anvers, 1992, F.J.F., n° 93/135. Dans le même sens, Bruxelles, 9 septembre 1994, F.J.F., n° 95/9).

Par ailleurs, ce n’est pas parce que l’employeur déclare que le travailleur n’est pas obligé de disposer d’un bureau à domicile ou de suivre des dépenses de formation (cours du soir, MBA…), que de telles dépenses sont forcément non déductibles dans le chef de ce travailleur.  Or, ce type de raccourci est souvent opéré par le fisc. Ce qui importe est seulement de déterminer si ces dépenses ont un lien avec l’activité professionnelle et ont permis au contribuable de conserver ou d’acquérir des revenus professionnels.

La ligne de démarcation entre un contrôle du lien à l’activité professionnelle et un contrôle d’opportunité d’une dépense est quelquefois difficile à tracer. Il n’est pas rare que tant l’Administration utilise, à tort, selon nous, l’expression de « dépenses non nécessitées par la profession » pour en rejeter la déduction. En s’exprimant de la sorte, le fonctionnaire ajoute une condition à la loi, ce qui devient de plus en plus une « marque de fabrique administrative ».

Quelle société ou quel contribuable n’a pas été un jour confronté à un contrôleur venu l’interroger sur la nécessité de consentir des dépenses de publicité, sur l’opportunité d’engager du personnel ou de faire tel investissement ou encore sur la nécessité d’inviter des clients à des repas d’affaires (y compris le weekend) ? Il arrive que des frais soient exposés en des périodes ou en des lieux les plus inattendus. Imaginez qu’un dirigeant rencontre sur son lieu de vacances son meilleur client et l’invite au restaurant avec sa famille. Peut-on considérer que la dépense n’est pas professionnelle ? Faire des affaires, nouer des liens durables avec ses clients signifient-ils obligatoirement que la rencontre doive se faire en un lieu proche de l’entreprise ?

Il est parfois surprenant de constater ce type d’ingérence dans la conduite des entreprises de la part de fonctionnaires qui, quoi qu’on en dise, n’ont qu’une connaissance réduite du monde des affaires.

Il faut rappeler aussi le principe que « nulle disposition de la loi fiscale ne soumet la déductibilité des charges professionnelles qu’un contribuable a supportées au fait que son activité ait effectivement engendré des revenus taxables » (Liège, 25 octobre 1989, R.G.F., 1990, p. 125, note G. Jorion).  En d’autres termes, le contribuable peut se tromper dans les choix qu’il pose ou peut avoir entrepris des démarches qui se sont avérées finalement infructueuses, sans pour autant que les dépenses qui ont été exposées à cette occasion puissent être considérées non déductibles.

L’organisation des activités d’un contribuable relève de sa seule liberté.

L’Administration ne peut se pencher sur ces motifs de nécessité ; elle doit se limiter à l’examen du caractère professionnel d’une dépense et à vérifier si la dépense présente ou non le caractère d’une libéralité ou de professionnalité.

Comme l’écrit à juste titre Jean-Pierre Aerts, « le critère de nécessité de la dépense est inadéquat, non postulé par la loi et inutile parce qu’il jette la confusion dans les esprits. Il masque un principe de contrôle d’opportunité autrement qualifié » (« La notion de charges et de dépenses professionnelles », in Annales de la faculté de droit, d’économie et de sciences sociales de Liège, 1980, pp. 455-456).

Un tel critère est en outre source d’insécurité juridique et d’arbitraire.

 

Pierre-François Coppens
Conseil fiscal IEC. Juriste
Secrétaire général de l’Ordre des Experts Comptables et Comptable Brevetés de Belgique

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