Devient-il fiscalement déraisonnable de cumuler les années en perte ?

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Par le passé, les juridictions du pays n’étaient pas très enclines à donner du crédit à la théorie de l’administration fiscale selon laquelle il faudrait que les frais professionnels soient adaptés au niveau et à la rentabilité de l’activité professionnelle. La jurisprudence se fondait sur le principe selon lequel le fisc n’est pas juge de l’opportunité d’une dépense professionnelle. Il ne lui appartient en effet pas de s’immiscer dans la gestion d’une entreprise.

Ainsi, dans un arrêt du 4 janvier 2011, la Cour d’Appel d’Anvers a clairement refusé de suivre l’administration qui soutenait qu’aucun frais n’était déraisonnable en soi, mais l’ensemble et le cumul des pertes faisaient croire au caractère déraisonnable de l’ensemble des frais. En l’espèce, un prépensionné avait une activité accessoire, déficitaire depuis 19 ans…La Cour a jugé la cotisation arbitraire.

Les choses seraient-elles en train de changer et le ciel s’obscurir pour les contribuables ? Certaines décisions récentes semblent le démontrer.

Ainsi, dans un jugement du 17 septembre 2014, le Tribunal de 1ère instance de Namur n’a pas suivi les contribuables. En l’espèce, ils exerçaient une activité accessoire (élevage de chiens) générant des pertes depuis le début soit en 1991. L’administration avait rejeté les frais exposés par eux dans le cadre de leur activité complémentaire pour ce qui excédait le montant des recettes, en application de l’article 53,10°, du CIR.

Le Tribunal relève que les contribuables n’invoquent aucune difficulté financière, ni problème particulier pour justifier la réalisation continue de pertes. La disproportion récurrente entre les bénéfices réalisés et les charges dans le cadre de leur activité accessoire démontre qu’elle ne présente aucun indice de rentabilité et qu’il apparaît excessif d’exposer des frais aussi importants dans ce contexte.

Le Tribunal de 1ère instance de Liège lui avait montré la voie dans un jugement du 14 juin 2012. Le litige concernait cette fois un contribuable exerçant une activité indépendante d’entrepreneur forestier/débardeur depuis 1996. Le Tribunal relève que le déséquilibre entre les recettes et les charges se répète d’année en année depuis 1998 jusqu’aux exercices litigieux. Il considère que si même une dépense professionnelle peut ne pas toujours engendrer le résultat escompté, il devient difficile d’admettre qu’une activité professionnelle demeure éternellement déficitaire.

Cette jurisprudence vient d’être confirmée à un échelon supérieur.

Ainsi, la Cour d’Appel de Liège dans un arrêt du 22 avril dernier a entériné la position soutenue par l’administration qui avait rejeté des pertes professionnelles générées par l’activité complémentaire d’élevage de chats de race par le contribuable depuis 1998.

La Cour précise que l’article 53,10° du CIR ne se limite pas à l’exclusion des dépenses somptuaires, mais visant aussi toutes les dépenses à caractère déraisonnable.

D’autre part, selon la Cour, l’administration n’est pas tenue d’envisager les frais dépenses par dépenses, ce que ne requiert pas le texte de l’article 53 précité, le caractère déraisonnable des frais pouvant apparaître d’un examen global des frais postulés, a fortiori lorsque le rejet repose sur le caractère récupérable des pertes constatées.

La Cour constate qu’en l’espèce, il apparaît que la situation déficitaire est récurrente depuis douze ans et que les circonstances de la cause, notamment l’âge de l’intéressé (64 ans au 1er janvier de l’exercice d’imposition), ne laissent espérer aucune amélioration de sa situation financière.

Il faudra bien faire avec cette nouvelle jurisprudence. Cela étant, on rappellera que l’article 53,10° du CIR est pourtant d’interprétation restrictive, étant une exception au principe de l’article 49 du CIR. D’autre part, de manière plus économique, il semble malsain que l’administration s’immisce ainsi dans la gestion des entreprises en émettant des considérations sur la viabilité d’une activité (âge du contribuable). De plus, la sanction d’une activité déficitaire doit résider naturellement dans les moyens mis à disposition des créanciers et notamment les procédures de liquidation du patrimoine comme la faillite. Enfin, la jurisprudence nouvelle est dissuasive et donne un signal aux « entrepreneurs » qui, courageux, souhaitent arrondir leurs fins de mois en tentant une activité complémentaire.

Frédéric LEDAIN

Avocat au Barreau de Liège

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