Acheter une seconde résidence à usage privé et la faire payer par sa société : est-ce bien réaliste ?

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Il fut un temps où certains titulaires de profession libérale, qui avaient déjà profité du transfert en société de leurs activités professionnelles pour économiser de l’impôt s’étaient laissés séduire par des conseillers « avertis » qui leur avaient recommandé d’acheter une seconde résidence par le biais de leur société professionnelle.

Imaginez le profit : la société supportait tous les coûts (acquisition, entretien et fonctionnement) et le titulaire de profession libérale devenu modeste dirigeant d’entreprise déclarait tout au plus un avantage de toute nature calculé de manière assez légère suivant les règles définies à l’art.18 ARcir/92.

Certains avaient même corsé le montage en faisant acquérir le seul usufruit pour 20 ans par la société, afin que notre titulaire-dirigeant puisse réaliser une plus-value nette d’impôt lors de la revente de la seconde résidence.

D’ailleurs, cette technique ne concernait pas que les secondes résidences, on l’avait aussi vu fleurir pour des résidences principales somptueuses que le dirigeant occupait avec toute sa famille contre l’imposition d’un fort léger avantage de toute nature.

Certains rétorqueront que cet avantage est imposé au taux marginal, et que ses modalités de calcul ont été poussées vers le haut avec les années.

Nous ne leur donnerons pas tort mais leur ferons tout de même remarquer que si le titulaire-dirigeant avait dû exposer personnellement tous les frais que sa société a engagés à son seul bénéfice, il lui en aurait coûté bien plus cher.

Inutile de dire que du côté de l’administration fiscale, ces montages ont toujours été vus du plus mauvais œil et ont été combattus avec acharnement.

Premier argument soulevé : les dépenses exposées par la société pour l’acquisition et l’entretien n’étaient pas visées par l’objet social de la société.

L’argument a parfois eu l’oreille des cours et tribunaux, dont la Cour de Cassation, jusqu’à ce qu’elle opère un revirement de jurisprudence en 2015 avec ces fameux arrêts datés du mois de juin où la Cour de Cassation admettait que la seule constatation que l’opération n’entre pas dans le cadre de l’objet statutaire de la société ne permet pas de décider que la dépense n’a pas de lien avec l’activité professionnelle.

Nous ferons tout d’abord remarquer, à propos du cas qui nous occupe, que bien souvent, l’objet social des sociétés contient une clause qui l’autorise à prendre part à toutes opérations financières, mobilières ou immobilières se rapportant directement ou indirectement à celui-ci, ou qui favoriseraient son expansion.

L’argument de l’objet social résiste peu selon nous à la critique quand une telle clause est contenue dans les statuts.

Mais les arguments soulevés par la Cour de Cassation étaient la porte ouverte au deuxième argument, bien plus fatal celui-là.

Il faut que la dépense ait un lien avec l’activité professionnelle.

Pourquoi ?

Parce que l’art.49 cir/92 (auquel renvoie l’art.183, applicable aux sociétés) n’admet au titre de frais professionnels que les dépenses faites ou supportées pendant la période imposable en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables.

D’où la question : en quoi l’acquisition par une société d’une résidence mise à titre gratuit à la disposition privée de son dirigeant est-elle une dépense faite pour acquérir ou conserver des revenus imposables ?

Il n’y a pas de loyer, pas de revenu, seul un simple avantage de toute nature imposé dans le chef du dirigeant lui-même. La société ne supporte donc que des coûts.

Les partisans de ce genre de montage fiscal soulèvent comme argument que comme le dirigeant est rémunéré par la société, rien n’empêche celle-ci de déterminer son mode de rémunération, et donc la mise à disposition gratuite d’un immeuble en fait partie.

L’argument n’est pas dénué de fondement, mais il n’en reste pas moins qu’il ne résiste pas un seul instant quand l’administration invoque que les dépenses liées à l’acquisition et au fonctionnement de l’immeuble qui ne sert qu’à abriter le dirigeant et sa famille n’ont pas été engagées pour acquérir ou conserver des revenus professionnels.

Cela a d’ailleurs été confirmé par la Cour de Cassation dans un arrêt du 14.10.2016.

Il s’agissait d’une construction usufruit classique (usufruit acheté pour 20 ans par la société et nue-propriété aux dirigeants). L’immeuble était affecté à 20% à l’activité professionnelle de la société et à 80% à l’usage privé des dirigeants.

L’administration a rejeté la déduction de toutes les dépenses liées à l’immeuble à concurrence des 80%, pour non-conformité à l’art.49 cir/92.

La Cour d’Appel de Gand lui avait donné raison au motif que les dépenses litigieuses ne sont des frais professionnels déductibles que si elles concernent l’activité économique de la société.

La Cour de Cassation, suivant l’avis de son avocat général, précise toutefois ce principe : les arrêts de juin 2015 (voir plus haut) n’impliquent pas que toutes les dépenses ou charges d’une société constituent nécessairement et inconditionnellement des frais professionnels déductibles qui peuvent être déduits du bénéfice brut. Bien que la déduction des dépenses professionnelles et des frais professionnels ne peut plus être rendue dépendante de la condition qu’ils soient inhérents à l’objet social ou statutaire, il reste en effet toujours exigé que ces dépenses ou frais soient faits ou supportés « pour acquérir ou conserver des revenus imposables », ce qui implique concrètement qu’il doit exister un lien (causal) démontrable avec « l’activité professionnelle réellement exercée » de la société. La société doit donc fournir la preuve que les coûts dont elle revendique la déduction correspondent à des prestations réellement fournies.

On voit mal comment une société pourrait justifier que des prestations réellement fournies sont démontrables dans une seconde résidence ou dans un immeuble ou partie d’immeuble affectés au seul usage privé.

Cet arrêt constitue une remise en cause fatale des montages fiscaux qui consistent à faire payer par la société la mise à disposition gratuite d’un immeuble utilisé au seul bénéfice de son dirigeant.

La seule piste qui soit encore envisageable selon nous serait que le dirigeant s’acquitte d’un loyer (et non d’un avantage de toute nature), comme le ferait un tiers non lié à la société. Dans cette hypothèse, l’administration ne pourrait plus soutenir que les dépenses liées à l’immeuble n’ont pas été engagées pour acquérir des revenus professionnels.

Mais le revers de la médaille est que le montage devient de ce fait beaucoup moins intéressant pour le dirigeant…

Source : Emile Masset – Rédacteur en chef de Fiscalnet

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