Frais liés à un immeuble pris en usufruit par une société

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Depuis que dans un arrêt du 14.10.2016, la Cour de Cassation a validé deux arrêts (Anvers et Gand) rejetant la déduction au titre de frais professionnels des frais liés à un immeuble pris en usufruit par une société mais mis à la disposition de son dirigeant, par ailleurs nu-propriétaire de l’immeuble, moyennant la déclaration d’un avantage de toute nature, la théorie de la rémunération fait des émules.

Cette nouvelle théorie consiste à dire que le fait que la société supporte bien les dépenses ne suffit pour pouvoir les porter en frais déductibles. Encore faut-il que la société prouve que ces dépenses correspondent à une prestation réelle du dirigeant de la société.

La simple déclaration d’un ATN, calculé de manière forfaitaire sur base de l’art.18 ARcir/92 n’est donc pas suffisante.

Dans un article publié fin de l’année dernière, nous avions déjà fait remarquer que cette théorie pouvait alors s’appliquer à toutes les dépenses et pas seulement aux constructions usufruit.

C’est aujourd’hui chose faite puisque la Cour d’Appel d’Anvers vient, dans un arrêt du 28.03.2017 (rôle 2005-ar-2480), d’appliquer la même théorie à propos de voitures de société.

Dans cette affaire, le « contribuable » avait poussé le bouchon très loin. Sa société avait acquis une habitation dans laquelle elle avait fait effectuer d’importants travaux (dont piscine, sauna, salle de fitness, etc…) qu’elle n’occupait qu’à concurrence de 16% pour ses activités professionnelles. Les 84% restant étaient donc mis à la disposition de son dirigeant, qui déclarait l’ATN prévu par la législation fiscale.

L’administration avait rejeté les 84% des dépenses liées à l’immeuble au motif que la société ne prouvait pas en quoi il y avait des prestations réelles du dirigeant correspondant à ces dépenses.

Mais ce n’est pas tout, la société avait également acquis une Porsche et une BMW série 7, toutes deux utilisées par le seul dirigeant, lequel n’avait bien sûr déclaré qu’un seul ATN puisqu’il ne pouvait circuler avec deux voitures en même temps.

L’administration avait aussi rejeté la déduction d’une des deux voitures, pour les mêmes motifs que ceux cités plus haut.

La Cour d’Appel d’Anvers, dans son arrêt précité, lui donne entièrement raison.

Il ne fait nul doute que si la société veut introduire un recours en cassation, elle subira le même revers.

Il est donc évident que le mouvement lié à la théorie de la rémunération est en route.

Pour l’instant, on ne voit encore que la face immergée de l’iceberg, parce qu’il n’y a pas encore trop de jurisprudence à son sujet, mais au niveau des contrôles, de nombreux fonctionnaires se frottent les mains parce qu’ils vont pouvoir appliquer de lourds redressements fiscaux à l’impôt des sociétés.

Le problème avec cette théorie, c’est qu’on ne sait pas comment il faudrait faire pour la contrer, càd comment prouver que ces dépenses correspondent bien à des prestations réelles de leur bénéficiaire.

Si ces avantages se trouvent accordés par de grandes sociétés, où il y a un comité de rémunération, ou bien à des cadres ou dirigeants qui ne sont pas en même temps les actionnaires de la société, il y a peu de risque que l’administration vienne à invoquer cette théorie. En effet, une société n’attribue pas une rémunération à un membre de son personnel sans aucune raison.

Mais dans les PME, où le dirigeant est aussi le seul associé, ou l’associé largement majoritaire, cette règle ne vaut plus puisque les intérêts du dirigeant et de l’associé sont identiques.

On aura beau faire valoir que la décision de la dépense, l’octroi de l’avantage et son calcul ont été pris par l’assemblée générale et consignés dans un PV, cela n’y changera rien puisqu’il y a confusion entre les intérêts de la société et les intérêts privés de son dirigeant-associé.

Il faudra donc se montrer extrêmement prudent et accepter d’acquitter un loyer (immobilier ou mobilier) qui corresponde à la réalité du terrain et non à l’ATN tel que déterminé par la législation fiscale. Sans être certain que cela sera suffisant.

La conclusion est claire : cette jurisprudence ne fait que démarrer, mais elle est le début d’une grande vague déferlante contre les montages fiscaux pratiqués par certains dirigeants de PME à leur seul bénéfice privé.

Ne seront pas rares ceux qui vont commencer à faire des cauchemars…

Emile Masset

Rédacteur en chef de Fiscalnet (27/05/2017)

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