De l’art de légiférer – Le point sur les mesures prises par le gouvernement en décembre 2015

Avec ses lois de fin d’année, le gouvernement Michel vient de nous « inonder » (le terme est volontairement choisi) de plus de 300 articles modifiés dans les matières traitées par Fiscalnet.

Un record absolu, jamais égalé en près de 20 ans d’existence.

Tout cela pourquoi ?

Tout d’abord pour corriger des incohérences dans des textes non mis à jour par les précédents légistes de l’Etat

Ensuite, pour instaurer un « tax-shift » dont chacun sait qu’il n’est qu’un faire-valoir à une vraie et profonde réforme de la fiscalité belge, devenue au fil des années et des gouvernements un monstre juridique sans aucune cohérence.

Aussi pour instaurer une « taxe sur la spéculation », pour faire croire que l’on s’attaque enfin à ceux qui ont créé la crise financière de 2008 et qui sont la source de tous nos déboires depuis lors.

Pourtant, cette taxe sur les boursicoteurs dit bien ce qu’elle veut dire : le particulier (ne parlons pas encore de contribuable) qui va revendre ses actions dans les 6 mois de son acquisition sera imposé au taux de 33% sur la plus-value réalisée.

Autant dire que tout homme un tant soit peu intelligent attendra 6 mois et 1 jour pour revendre ses actions. Ou il effectuera ses transactions par le biais d’intermédiaires situés à l’étranger, échappant ainsi à toute possibilité de contrôle par le fisc.

Pourtant, on n’est pas à l’abri de surprises car il faudra encore que notre boursicoteur sache ce que le législateur entend par « actions » et comment il considère le délai de 6 mois.

Les fonds financiers internationaux, qui sont les grands maîtres de la spéculation, seront toutefois à l’abri de cette fameuse taxe.

Les revenus engrangés par l’Etat seront donc ridicules.

Mais le coût pour ses contribuables sera énorme.

D’abord pour les banques et intermédiaires financiers, qui ne savent comment interpréter les textes mais qui doivent les appliquer depuis le 1er janvier 2016.

Ensuite pour les particuliers qui ne sauront comment et quand ils y seront soumis.

Pour leurs conseils ensuite, qui seront devant les mêmes expectatives.

Mais ce n’est pas tout, ceux qui ont rédigé les textes n’ont fait dans la dentelle.

Pour instaurer la taxe sur la spéculation, il a été décidé d’introduire un 13° dans l’art.90 cir/92.

Jusque là, pas de problème, mais les rédacteurs, au lieu d’introduire une seconde phrase dans le 13°, ont préféré en faire un alinéa 2 à l’art.90.

Conclusion : il a fallu modifier tous les articles du cir/92 où il est fait référence à l’art.90 pour spécifier qu’il s’agit désormais de l’art.90, al.1.

Cette manière de procéder a provoqué une quarantaine de modifications supplémentaires dans le cir/92 (dont la source est la loi du 26.12.2015 sur le tax shift) !

Pour autant qu’il n’en manque pas, et que les arrêtés d’exécution en tiennent compte aussi, ce qui n’est pas le cas pour l’instant.

Afin que cet exemple ne vous suffise pas, nous en avons pris un autre : l’art.269 cir/92 a été modifié 4 fois fin décembre : une fois dans la loi du 18.12.2015 portant des dispositions fiscales diverses (Moniteur du 28.12.2015) et trois fois dans la loi du 26.12.2015 sur le tax shift (Moniteur du 30.12.2015).

Il y a malheureusement d’autres exemples de ce type.

Comment voulez-vous, dans de telles conditions, connaître la loi de manière exacte, savoir quand elle devient applicable et l’expliquer à ceux qui vous consultent ?

Nul n’est censé ignorer la loi.

La lecture du Moniteur vous en convaincra, d’autant que certains articles des textes légaux de fin d’année confirment des articles de loi ou des arrêtés ou donnent encore des entrées en vigueur à des textes parus au Moniteur, mais auxquels il faut nécessairement retourner pour voir de quoi il s’agit.

Bref, une fois de plus, nous devons constater que les juristes ont quitté les parlements (les régions méritent aussi leur bonnet d’âne) et les cabinets ministériels.

Cela donne une drôle d’image de l’Etat de droit auquel chacun peut s’attendre quand il s’acquitte correctement de ses impôts.

Emile Masset

Rédacteur en chef de Fiscalnet

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